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  • Photo du rédacteurLe Réseau de Simone

La fois où... j’ai connu un violeur


Y a des jours comme ça. T’as pas envie de te réveiller. Pas envie de te lever, d’allumer la télé, de découvrir tes messages. Surtout ​ce message. Il faisait beau pourtant. A la plage, pas trop de monde, et l’eau, juste assez chaude pour pouvoir immerger ton torse sans claquer des dents.

“T’as lu le journal ?”. Non, pourquoi ?

“J. a été arrêté. Il est accusé de viols.” Minute. Attends. Quoi ?! Tu fonces sur le site du journal local, fais défiler fébrilement les articles.

T’as besoin de t’asseoir. “Neuf jeunes filles ont porté plainte”. Neuf. Neuf. Tu te répètes ce chiffre, inlassablement. Pendant cette période où toi aussi, tu les as connues, où tu l’as connu, lui. Il avait disparu de la surface de planète, six ans plus tôt, sans explication. “Des problèmes de santé…”. Mon cul, ouais. Il faisait déjà l’objet d’une accusation à l’époque.

Tu avais quinze ans. Elles en avaient autant. Comme elles, tu venais apprendre à jouer et chanter sur scène, à créer et incarner un personnage. Derrière ces spectacles, des heures et des jours entiers de répétitions acharnées, de séances de sport matinales (tes bras en pleurent toujours), de cours “d’occupation de l’espace” les yeux fermés…

Comme elles, tu rêvais qu’il baisse les yeux sur toi. Tu rêvais d’obtenir son attention, d’avoir ce lien qu’il t’offrait sur un plateau, ce privilège de te sentir proche de lui. Mais jamais tu n’aurais pensé… Il dirigeait les spectacles d’une main de fer, imposait sa silhouette de géant sur nos frêles ombres de gamines.

Parce que nous étions des gamines.

Tu réprimes un haut-le-cœur. Bien sûr que tu t’en doutais. A un moment en tout cas. Lorsqu’un soir, il t’a abordé sur MSN. Une conversation banale. Tu voulais lui montrer que tu avais hâte d’être au spectacle. Et puis, la discussion avait pris une drôle de tournure. “On met la cam ?”. Ok. “Tu es habillée comment ?”. Hein ? Pourquoi cette question ? Et soudain un bruit, ta mère a surgi derrière ton dos. A mis un terme à la conversation. Sans le savoir, elle venait sûrement de te mettre à l’abri d’un traumatisme que d’autres avaient subi.

Et puis, maintenant que t’y repenses : il en avait semé, des indices. Les regards enjôleurs, les compliments, les allusions salaces… Ces petits riens qui t’avaient fait rire ou rougir, mais qui aujourd’hui prennent un sens terrifiant.

Tu penses à elles. Celles qui ont pu parler, se libérer de ce poids qu’elles avaient dû porter toutes ces années. Aucun nom ne filtre, mais tu sais. Tu sais que peut-être certaines ont été proches de toi, que tu as partagé leurs confidences, leurs moments de joie. Mais pas ce secret-là.

Les mois passent et le procès est là. D’autres témoignages sont parus et te serrent à la gorge d’horreur et de dégoût. Un jour, tu finis par craquer. Ta culpabilité inonde ton visage de larmes, tu te dis que si toi aussi, tu avais parlé de cette conversation pas si banale avec d’autres personnes, avec d’autres adultes, tu aurais peut-être pu…

Il en a pris pour seize ans. Bien fait pour sa gueule.

On ne peut pas revenir en arrière. Mais on peut sauver les victimes de demain. D’abord en parlant. En osant briser les tabous. Et en offrant une écoute attentive et disponible à celles et ceux qui en ont besoin. Parce que le viol est un crime et qu’il peut détruire.

N’oublie pas, toi derrière ton écran, que ton corps t’appartient. A toi seul·e. Que personne n’a le droit d’en abuser, de te manipuler pour obtenir des actes que tu n’as pas consentis. Même s’il s’agit d’une personne en qui tu as confiance, en apparence.

Jamais.


Angéline L.

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